A Full Circle of Franco-American Friendship
August 18, 2015 at 6:17 am 6 comments
You can read the original English-language version of this post here: https://janethulstrand.substack.com/p/people-i-have-known-8ce
Mille mercis à Béthsabée Roger, pour cette traduction française.
Jacques and Béthsabée 1984
Une boucle bouclée d’amitié franco-américaine
La première fois que nous avons rencontré notre ami Jacques, c’était en 1978 quand nous avions été embauchés pour cueillir le raisin dans les vignes de la famille pendant la récolte, plus connue dans cette très belle langue sous le nom de la vendange.
Jacques était né en 1940, pendant l’occupation Nazie en France. Nous ne l’apprendrons que bien plus tard. Nous étions jeunes, nous étions Américains, et pour nous la Seconde Guerre Mondiale était un vague souvenir très lointain, même si à l’époque ça ne faisait qu’un tout petit peu plus de 30 ans et c’était encore très proche pour les Français.
En 1978, Jacques était dans la force de l’âge, avec sa très jolie jeune femme, une petite fille, et une activité professionnelle en plein essor. Il était ce que ma mère appelait « agréablement rondouillard », un homme assez costaud avec des yeux noirs très gentils. Il avait toujours un mégot de cigare à la bouche et il avait presque toujours une étincelle dans les yeux.
Un agriculteur qui aimait la poésie et aussi la musique joyeuse et folklorique et les paroles pleines d’ironie de Georges Brassens, Jacques nous a accueillis dans son royaume les bras ouverts. Quand la vendange a été terminée, il nous a invités – les trois seuls Américains qui aient jamais fait les vendanges – à rester dans une vieille maison en pierre, spartiate mais confortable, qui avait servi à loger les vendangeurs – et nous !, pendant aussi longtemps qu’on le voudrait. Son épouse, Josette, nous a invités le dimanche à partager un repas pendant lequel, pendant plusieurs heures, sur leurs propositions enthousiastes à nous re-servir – et leur refus du « non » comme réponse, nous avons mangé jusqu’à exploser : c’était un déjeuner merveilleusement gastronomique – aussi bien en qualité qu’en quantité – qu’aucun de nous n’oubliera jamais.
Nous avons accepté l’invitation de Jacques de rester à Essoyes, et nous sommes restés environ une semaine. Pendant cette période il nous a pris sous son aile et nous a fait découvrir la région. Il nous a conduits tout en haut des collines, là où sont les vignes – et de cet endroit nous avons pu admirer le paysage magnifique, bien mieux que ce que nous avions pu voir pendant que nous étions en train de travailler pendant la vendange. Il était très fier que nous apprécions la beauté du paysage autant que lui. Il nous a emmenés voir les installations, nous a montré le pressoir où les grappes sont écrasées, nous a expliqué le processus long et difficile de la création du champagne, qui est beaucoup plus difficile que celui des autres vins. Il nous a emmenés voir les tombes de la famille Renoir dans le cimetière du village, où nous avons rendu hommage à ces artistes locaux connus mondialement, tout en rêvant à nos propres et imminentes – nous l’espérions – aventures artistiques.
Au fur et à mesure que nous mangions, que nous marchions et que nous roulions, nous avons eu des conversations très intéressantes, surtout sur la politique et les événements du moment, mais aussi sur d’autres choses. Comme tous les Américains, nous étions à la fois à moitié surpris et à moitié honteux de découvrir que les Français moyens en connaissaient beaucoup plus que nous sur la politique mondiale – mais aussi sur nos problèmes nationaux.
Quand finalement – à reculons – nous avons décidé qu’il était temps de retourner sur Paris, Jacques nous conduit à Dijon, à environ 100 miles, et nous déposa à la gare ferroviaire. Sur le chemin nous avons parlé de politique, de la vie, et nous avons écouté du Brassens pendant que les collines bourguignonnes d’un vert luxuriant défilaient derrière les vitres de la voiture.
Quelques années plus tard, nous sommes retournés aux Etats-Unis, à New York. Avant que nous partions, Jacques nous a proposé de laisser notre vieille caravane dans laquelle nous habitions un peu à l’extérieur de Paris, dans un de ses hangars. C’était la solution parfaite à un problème difficile. La roulotte a été déménagée dans sa nouvelle maison en Champagne et nous sommes retournés aux Etats-Unis avec la certitude qu’elle était entre de bonnes mains, et qu’elle nous attendrait jusqu’au moment où nous aurions l’occasion de revenir.
Quelques années ont passé : nous sommes restés en contact, envoyant de temps en temps des cartes de Noël et des lettres à Jacques et Josette. Puis une fois à Noël nous sommes revenus en France pour une courte visite. Cette fois-ci ils nous ont invités à rester chez eux quelques jours. Le bébé que nous avions vu quand nous avions travaillé pendant les vendanges avait maintenant 6 ans, et ils avaient un autre bébé. Jacques et Josette avaient déménagé de leur appartement qui était petit mais moderne à la périphérie de Bar-sur-Seine dans une grande maison ancienne qui donnait sur une place pavée dans le centre-ville. Nous avons passé une fois encore du bon temps avec eux, et quand nous sommes partis, nous leur avons dit que nous serions de retour 6 mois plus tard – nous en étions nous-mêmes persuadés. « C’est tellement plus agréable ici, et c’est tellement moins cher de voyager qu’aux US. » – c’est ce que nous nous disions (et c’était vrai à l’époque). « C’est aussi bien d’économiser et de venir ici aussi souvent qu’on peut. Ils parlent français ici, et la cuisine est bien meilleure. »
Mais la vie sait y faire pour que les objectifs de voyage ne se réalisent pas, et ça nous est arrivé à nous aussi. Nous nous sommes très impliqués dans notre vie à New-York et c’était difficile de partir. Nous étions très occupés avec nos études universitaires et nos carrières artistiques, nos obligations familiales, et les difficultés journalières de joindre les 2 bouts à New-York. Un jour – triste – nous avons appris via un ami commun que Jacques et Josette s’étaient séparés. Nous avons continué de lui écrire de temps en temps, mais notre correspondance – qui a toujours été a sens unique – a fini par s’arrêter.
Finalement, presque 14 ans plus tard, nous sommes de nouveau retrouvés en France. On nous avait donné l’opportunité de monter un cours pour les étudiants étrangers à Paris. Donc un week-end nous sommes allés en voiture en Champagne. Le dimanche après-midi, alors que nous retournions sur Paris, mon mari a soudain pris une petite route et a roulé jusqu’à la ville de Bar-sur-Seine. Comme si cela avait été quelques semaines plus tôt – pas quelques années, il se dirigea directement sur la place devant la maison de Jacques et se gara. Nous sommes allés devant la porte et nous avons frappé.
Pourquoi après une si longue absence auprès de nos amis adorés, le sentiment le plus fort que nous ressentons juste avant de les revoir est la peur ? De quoi avions-nous peur ? Qu’ils ne se souviennent plus de nous ? Qu’ils ne nous aiment plus ? Que dans ce laps de temps, quelque chose d’important se soit cassé ou ait été perdu pour toujours ? Alors que nous attendions, mon cœur battait à tout rompre, et je me sentais très nerveuse.
Quelles qu’aient été mes peurs inavouées, je les ai oubliées, quand quelques minutes plus tard, la lourde porte en bois s’est ouvert, et que Jacques se trouvait derrière. Il était un peu plus fort qu’avant, il avait un peu plus de cheveux blancs depuis la dernière fois que nous l’avions vu. Mais le cigare inénarrable, l’étincelle dans ses yeux toujours aussi gentils n’avaient pas changé. Et malgré le fait que depuis toutes ces années où il ne nous avait pas vus, nous n’étions plus les deux jeunes amoureux, mais un couple d’une quarantaine d’années avec un bébé et un petit de 4 ans, il nous a reconnus immédiatement. Il sourit, avec son petit sourire en coin, et nous tendit les bras « Steve ! » – dit-il – et nous serra chaleureusement dans ses bras.
Puis il s’écarta, nous fit signe d’entrer, et se dirigea vers la cave, exactement comme la dernière fois que nous nous étions vus. Il nous amena une des ses meilleures bouteilles de champagne et l’ouvrit. Il prit des flutes en cristal, et versa le magnifique liquide rempli de bulles dans deux flutes – lui-même n’en buvait pas, tout du moins pas avec nous. Nous avons chacun notre tour porté un toast, nous avons porté un toast à l’amitié, et avons repris la conversation là où nous l’avions laissée comme si nous nous étions vus la veille.
Alors que nous buvions notre champagne, Jacques se tourna vers Phineas, notre petit de 4 ans, et lui donna un morceau de chocolat. Je m’attendais à ce qu’il refuse : c’était un enfant qui n’aimait pas les sucreries. Et c’est vrai qu’au début, il nous a semblé que comme d’habitude il n’allait pas en vouloir. Mais pour une fois, quelque chose lui avait fait changer ses habitudes. Peut-être que c’était les manières chaleureuses de Jacques. Peut-être c’est parce qu’il savait qu’il allait s’ennuyer pendant un bon moment, forcé d’écouter les discussions d’adultes dans une langue qu’il ne comprenait pas, et qu’il était du coup plus ouvert à tout ce qui pourrait le divertir. Quelle qu’ait été la raison, après un moment d’hésitation, il tendit sa petite main et Jacques y déposa le carré de chocolat. Il prit le morceau de chocolat, le mit dans sa bouche, et en croqua un petit morceau. Son visage s’illumina d’un seul coup, il eut un petit sourire qui montrait que cela lui plaisait, et nous avons tous ri. « Il n’a jamais mangé de chocolat avant », dis-je à Jacques, « il n’aime pas les sucreries. »
Si cette histoire n’était pas vraie, la suite pourrait paraitre inventée, une grosse ficelle mélodramatique dans le but de tirer les larmes du plus froid des lecteurs.
Mais c’est vrai, et c’est ce que Jacques dit. « J’ai mangé mon premier carré de chocolat quand j’avais 4 ans aussi » nous dit-il. « Un soldat américain me l’a donné quand ils sont venus libérer le village. »
Des amis américains – et même des gens que je ne connais pas – me demandent souvent si c’est vrai que les Français détestent les Américains. Je n’ai jamais eu aucune hésitation sur la réponse, et la réponse a toujours été « Non ».
Bien sûr, il y a toujours des réponses plus compliquées et plus nuancées à cette question. Mais je n’arrive pas à penser à une meilleure manière de résumer l’essence même de cette relation, la profonde et durable amitié entre nos deux nations, que le précieux souvenir d’un Français pour son premier carré de chocolat quand il était petit garçon, un cadeau d’un soldat américain, le souvenir de ce cadeau, et ce moment, savouré et gardé comme un trésor. Et puis que ce cadeau soit rendu de nouveau à un autre petit garçon, un Américain, un demi-siècle plus tard.
Janet Hulstrand est écrivaine, éditeur, et elle enseigne l’écriture et la littérature. Elle écrit régulièrement pour “Bonjour Paris”, “France Revisited” ainsi que pour d’autres publications. Elle partage sa vie entre les Etats-Unis et Essoyes, un beau petit village Champagne en France, où elle organise plusieurs fois par an des séminaires d’écriture : “Writing from the Heart” workshops.
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1.
Marie E. Bryan | August 19, 2015 at 2:51 am
A heartwarming story!
2.
Janet Hulstrand | August 20, 2015 at 11:26 am
Thank you, Marie. It warmed my heart. Glad to know you liked it too! 🙂
3.
Marilyn Hes | January 17, 2016 at 8:32 pm
Such wonderfully vibrant memories, Janet! Thank you for sharing.
4.
Janet Hulstrand | January 17, 2016 at 8:34 pm
Thank you for your warm response. Yes, vibrant and precious. Glad you enjoyed reading about Jacques. 🙂
5.
B | August 19, 2016 at 8:18 am
Thank you so much Janet.
I read it on my father’s birthday and it was very moving.
I was too young to remember this – it brought me back to times I cannot really remember but are with me in my heart (probably what is left when memories have faded).
I will translated it in French for my sister.
6.
Janet Hulstrand | August 19, 2016 at 10:36 am
Thank you, Bethsabée, I am so glad you liked it. I know you must miss your father so much, we do too! 😦 And thank you also for offering to translate it for your sister. As my English is much better than my French, it’s much better that you should do it 🙂